Un souvenir vivant

J'ai déjà partagé pas mal de souvenirs avec vous et c'est vrai que je ne me suis montrée qu'à travers le miroir déformant de l'humour.

Pour répondre à cette question d'un jour dont se souvenir, et juste pour une fois, j'ai envie de faire tomber ce masque.

Si je ne devais me souvenir que d'un jour, ce serait un jour "ordinaire" avec une femme qui elle, était extraordinaire.

Je ne l'ai pas connu longtemps et j'étais très jeune quand elle est morte. Pendant ce court laps de temps durant lequel j'ai eu la chance de la côtoyer, la maladie occupait une grande place dans sa vie. Pour autant, je ne l'ai jamais perçue comme quelqu'un de malade : elle n'était que sourires et joie de vivre.

Elle était constamment par monts et par vaux. Son appartement témoignait de ses nombreux voyages mais aussi de son goût pour la mode : quand j'étais gamine, j'adorais caresser ses fourrures, passer la main sur les tissus colorés de ses robes, m'émerveiller sur ses collections de sacs et de chapeaux.

Certains des souvenirs qu'elle ramenait de ses expéditions me fascinaient : je m'enchantais tout particulièrement sur une petite tortue à la carapace bariolée qui me donnait l'étrange sensation qu'elle souriait paisiblement.

Quelques temps après sa mort, le jour de mon anniversaire, la tortue m'attendait tranquillement dans un petit paquet.

Le jour où il fallut choisir sa dernière toilette, je savais qu'elle était encore étendue sur son lit, les yeux clos du sommeil qui l'avait emporté. J'ai alors insisté pour la voir une dernière fois...sans doute pour rendre réelle une situation si terrible que mon jeune esprit ne pouvait se résigner à accepter.

Ma mère refusa.

Elle m'expliqua qu'elle voulait que mon dernier souvenir d'elle soit un souvenir vivant. Même si alors je n'avais ressenti qu'injustice et colère, je peux enfin dire aujourd'hui que je lui suis profondément reconnaissante de m'avoir fait ce cadeau.

C'est grâce à elle que je suis en mesure de dire :

Si je ne devais me souvenir que d'un jour, ce serait un jour "ordinaire" avec une femme qui elle, était extraordinaire.

Elle nous avait emmené ma sœur, mes parents et moi dans un parc d'attractions. Avec nos yeux d'enfants ébahis, nous avons vécu ce séjour comme dans un rêve. Mon souvenir d'elle est celui de son bonheur à nous voir si heureuses. Elle qui n'avait jamais eu d'enfants nous couvrait de chocolats à chacune de ses visites. Elle nous insufflait sa bonne humeur et riait à gorge déployée de nos pitreries et de nos enfantillages.

Son rire résonne encore parfois dans mon esprit.

Ce souvenir est un souvenir vivant et pour cela, je te dis merci Maman.